Critique de SUR LA ROUTE par L'Express.


Sur la route, roule, ma poule.
- par Eric Libiot 


L'adaptation a beau être à mille lieues du livre de Jack Kerouac, le résultat,présenté à Cannes et dans les salles ce mercredi, séduit. 
Un tapuscrit de 36 mètres de longueur. Pas un seul retour à la ligne. Des souvenirs qui se mêlent aux péripéties, qui croisent le récit, qui tamponne des dialogues, des changements de décor, des digressions et des retours en arrière. Page 498, édition Folio: "La route est encombrée, on se bouscule au portillon." C'est le moins qu'on puisse dire. 
Sur la route, roman-fleuve, culte, épuisant et apnéique de Jack Kerouac, est le livre de la génération beatnik, l'histoire de Kerouac lui-même, parti chauffer le bitume à la fin des années 1940, entre soirées alcoolisées, rencontres épiques de potes, utopie existentialiste et envie de laisser derrière soi le vieux monde, celui mort à la guerre. Le machin énaurme contre lequel nombre de cinéastes se sont écrasés, incapables, sans doute, de rendre la singularité du texte et, mieux, ou pis, sa radicalité, dans un genre, le cinéma, qui plus est américain, qui, en général, n'aime guère tourner le dos au succès, au point d'effacer le moindre grain de sable, en particulier ici où les grains de sable se ramassent à la pelle, retour à la ligne. 
Francis Coppola, coproducteur du film, y a longtemps cru -et à sa bonne période ante-Twixt, il aurait pu- avant de laisser les rênes de la réalisation à Walter Salles, cinéaste sage et pas très inspiré de Central do Brasil et de Carnets de voyage. Sur le papier, ça craint. Sur l'écran, la surprise est plutôt bonne. Le scénario a écrasé au bulldozer tout ce qui dépassait de la couture du pantalon et, bizarrement, ça fonctionne. L'adaptation a beau être à mille lieues du livre, le résultat séduit parce que les partis pris de lisibilité sont assumés et que, finalement, ce qu'écrit Kerouac est, au moins, aussi intéressant que la façon dont il l'écrit. Des personnages attachants plongés dans une aventure hors norme qui essaient de pousser les murs de leur vie prévisible et étriquée. Salles les fait exister et le cinéaste modeste qu'il est convient parfaitement au projet. Ce principe de réalité ne plaira pas à tout le monde, mais il s'impose. Et je l'en félicite.

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